L'HOMME NE PEUT PAS JUGER CONVENABLEMENT SON PROCHAIN
 
 
 

À coté de jugements ordinaires relatifs aux crimes de droit commun on en aura vu sur des faits remontant à l'occupation allemande en France. Ce fut le cas de Maurice Papon pour ses activités à Bordeaux entre 1940 et 1944. La procédure en fut interminable et on en aura beaucoup parlé, l'opinion publique ayant été très mobilisée sur le sujet par les médias. Mais il est probable que cela n'aurait pas pris une telle importance si cet homme n'avait pas été à des postes de tout premier plan depuis lors, allant jusqu'à être ministre de Raymond Barre, ce qui avait amené la presse satirique à s'intéresser à lui. Et c'est ainsi que fut révélé un certain style de collaboration de sa part l'ayant entraîné devant la justice.

 
 
 

Or il ne faisait pas partie de ceux agissant par conviction idéologique, admirant le régime nazi et ses dirigeants et aidant les allemands avec zèle, ces derniers ayant été pourchassés à la libération et exécutés pour la plupart. Mais à coté il pouvait y en avoir d'autres qui simplement n'étaient pas portés à résister aux exigences de l'occupant. On n'avait probablement pas trop intérêt à contrarier les autorités allemandes en ayant un poste de responsabilité à quelque niveau que ce soit sous l'occupation, sans pour autant les apprécier bien au contraire. C'était juste une façon de « faire avec ».

 
 
 

De ce fait il parait difficile de porter un jugement valable sur l'action de ce type de collaborateur. Pourtant remuer ainsi de vieilles cendres plaît à une certaine opinion publique. Et c'est ce qui peut amener des gens impulsifs à prendre des initiatives déplorables, comme par exemple celui qui assassina sur le pas de sa porte René Bousquet, ancien chef de police de Paris sous Vichy ayant bénéficié d'un non-lieu à la fin de la guerre. On peut toujours discuter de savoir si c'était justifié ou non. Mais en attendant sa mort aura eu pour résultat que pour lui en tous cas il n'y aura jamais eu de procès.

 
 
 

En dehors de l'application concrète de la justice humaine il y a d'autres faits en rapport avec la deuxième guerre mondiale prêtant à controverse. Par exemple certains reprochent au pape Pie XII de n'avoir pas réagi plus fort au massacre des juifs par les nazis. Mais sans doute que s'il ne voyait pas l'utilité d'en faire plus c'est parce qu'il savait n'avoir que peu d'influence sur leurs dirigeants. En effet ceux-ci avaient de par leur éducation une sensibilité axée bien plus sur le protestantisme que sur le catholicisme. Et il est probable qu'une réaction trop vive de la part du pape aurait pu être le prétexte à des persécutions envers les catholiques, sans rien changer pour autant au sort des juifs par ailleurs.

 
 
 

Voilà des cas de figure où bien des gens ont tendance à juger hâtivement et de façon simpliste de ce qui se sera fait à une époque trouble de l'Histoire d'après ce qu'ils auront entendu dire. Mais on voit déjà que des problèmes courants de criminalité sont d'une telle complexité qu'on a bien du mal à les résoudre. D'où l'on peut dire que gaspiller son temps et son énergie à en débattre ainsi ne sert pas à grand-chose en fait. Il n'en reste pas moins que cette façon de raisonner par trop rapide et passionnelle peut être aussi le fait de gens importants.

 
 
 

Par exemple monsieur Bouteflika venant fleurir la tombe d'algériens morts au front en France entre 1914 et 1918 mais continuant d'avoir vis-à-vis des harkis une attitude de rejet aussi vive qu'en fin de guerre d'Algérie il y a quarante ans de cela. Pourtant le point commun entre ces derniers et leurs aïeux pendant la Grande guerre aura d'abord été de s'être mis aux cotés des français dans leurs combats. Car enfin l'Algérie ne pouvait pas avoir à craindre quoi que ce soit de l'Allemagne à l'époque, pas plus que les sénégalais d'ailleurs et d'autres qui se firent tuer comme eux à nos cotés. Mais s'ils agissaient ainsi, c'était d'abord et avant tout pour la France. Et ce fut pareil entre 1939 et 1945.

 
 
 

Bien sûr la différence pour les harkis c'est que leurs adversaires étaient comme eux algériens. Mais des guérilleros intégristes du Groupe Islamique Armé ayant égorgé femmes et enfants se sont vus proposer l'amnistie s'ils déposaient leurs armes et renonçaient au terrorisme que le pays eut à subir depuis les élections avortées de 1992, bien qu'ayant du sang sur les mains. On comprend mal alors qu'on leur accorde plus facilement le pardon qu'à ceux qui s'en prirent à leurs concitoyens aussi certes, mais au plus tard en 1962, soit trente ans plus tôt au moins quand même.

 
 
 

Dans un tout autre registre on pourrait aussi remonter jusqu'à ce qui se passa durant la guerre froide, le communisme étant considéré comme « diabolique » alors dans certains milieux en Amérique latine avec une hystérie conduisant à d'inutiles cruautés sur des gens quelconques n'ayant pas grand-chose à révéler sous les actes de torture auxquels se livrèrent les polices des dictateurs de ces temps-là heureusement révolus.

 
 
 

Il ressort de tout cela que l'homme n'a pas la capacité de juger son équivalent, foncièrement limité qu'il est. On ne peut pas savoir ce qu'un individu a dans le cœur tant la nature humaine est complexe. Et il est impossible de se faire une idée convenable de la valeur morale d'un être humain. En fait le jugement et la condamnation devraient être du domaine exclusif de Dieu, pour le croyant tout au moins, parce qu'il dispose de toute l'éternité afin que la justice soit rendue d'une façon parfaite et avec une précision absolue. Et s'y substituer comme on le fait un peu partout d'ailleurs est un aveu de paganisme finalement, car cela revient à penser qu'il ne pourrait pas y avoir de jugement qui vaille autrement que sur cette Terre, et rendu par l'homme.

 
 
 

En France on convoque des citoyens pour constituer un jury dont les membres doivent dire en leur âme et conscience si un prévenu est coupable. Mais c'est une manière de faire archaïque basée sur le principe de « punir ». D'un coté la lourdeur de la peine se veut dissuasive, ce qui n'a rien de sûr. Et de l'autre on cherche à protéger la société de la malfaisance en la neutralisant, mais durant un certain temps seulement. Ce faisant on se disperse dans ses objectifs. C'est donc un peu comme de courir après deux lièvres à la fois : le travail risque fort d'être aussi mal fait d'un coté que de l'autre.

 
 
 

Et puis des procès peuvent se faire pour une erreur ou pour une saloperie de la même façon, car la distinction entre les deux n'est pas toujours évidente. Et on constate que nul n'en n'est jamais satisfait de quelque côté que ce soit, ceci dit sans parler du fait que des crimes resteront à tout jamais impunis. Bien sûr un délit devra être sanctionné, mais ce qu'il faudrait viser surtout c'est l'efficacité. Qu'on se contente d'empêcher aux malfaisants de nuire, d'abord et avant tout. Mais sans se perdre dans des discours à n'en plus finir sur la moralité des faits, et avec ce qui relève au fond d'un esprit de vengeance.

 
 
 
Page d'accueil alain.marchand9@free.fr